Pendant nos 9 ans d’études dans le domaine du paysage, nous avons appris 2 disciplines
relatives à la gestion de l’eau :
1. l’assainissement, pour évacuer l’eau
2. la science de l’irrigation, pour amener de l’eau à une plante afin qu’elle pousse.
Ces deux grandes spécialités, avec chacune leurs sous-spécialités et toute une batterie de métiers (et ingénieurs) correspondants, ont jusqu’ici fonctionné en silo mais avec un grand point commun : les tuyaux.
Grâce à ces tubes de plastique peu onéreux, on pouvait vite fabriquer tout en maîtrisant bien le résultat escompté : faire couler l’eau dans un sens ou dans l’autre selon qu’on en avait trop ou pas assez.
Tant qu’il y avait plein d’eau, cette approche satisfaisait tout le monde.
Mais voilà, aujourd’hui, on nous dit que ce n’est plus la bonne. Pourquoi ?
Hausse des habitants + imperméabilisation des sols + réchauffement climatique = game over
- Quand il y a trop d’eau d’un coup, typiquement en cas de pluies torrentielles, les infrastructures d'assainissement deviennent inopérantes : les tuyaux se remplissent, les stations d'épuration sont au taquet de leurs capacités donc soit on les ferme - causant des débordements - soit on les ouvre - et on déverse dans les rivières. Et quand on relâche ainsi de l’eau sale dans les milieux naturels, on les esquinte durablement et visiblement.
- A l’inverse, quand il n’y a plus d’eau, engendrant de grosses restrictions comme on l’a connu en 2022 et 2023 (mais c’était déjà le cas avant), on ne sait plus quels tuyaux “couper” en premier : ceux qui alimentent les jeunes plantations d’arbres ? les rames de tram ? les terrains de sport ? Et dans quel ordre ?...
Comment expliquer aux gens qu’ils ne peuvent plus remplir leurs piscines ou arroser leur jardin ?
C’est alors qu’on dit aux professionnels du paysage et de l’aménagement que, pour répondre à ces problèmes que nos systèmes d’irrigation et d’assainissement ne savent pas (ou plus) régler, il va falloir dorénavant nous appuyer sur “les solutions amenées par la nature”.
C’est-à-dire ? Comment le mettre en œuvre ?
Les solutions basées sur la nature
S’inspirer des solutions amenées par la nature, cela revient à favoriser l’infiltration d’eau dans les villes et à capitaliser sur cette eau infiltrée pour faire pousser nos plantes et massifs. Refaire des fossés comme à la campagne par exemple…
Sur le papier, c’est super ! Mais une fois que les ouvrages passent en gestion, c’est là que les problèmes commencent. En effet, les domaines de l’assainissement et de l’irrigation sont très normés à la base, des normes issues de dizaines d’années de pratique avec des technologies relativement peu complexes.
Tandis que là, on avance sans norme avec un niveau de connaissances faible et peu d’années devant nous pour nous adapter du fait du couperet du changement climatique.
Nous nous en rendons compte en discutant avec les gestionnaires des services de l’eau :
pour cette noue paysagère en gestion par exemple, s’agit-il d’une rétention temporaire ou d’infiltration ? Nos interlocuteurs ne savent pas nous répondre.
Ou encore, pour les cas de figure de prévention d’inondations :
On attend de ces solutions vertes d’avoir une efficacité au moins équivalente aux tuyaux, sinon meilleure.
Mais quid de l'impact de la matière organique dans les sols quant aux capacités de ces derniers à absorber l’eau ou à la drainer ailleurs ? Quelqu’un sait-il le quantifier ou le qualifier précisément ?
Ou là, pour ces bâtiments sortis de terre, quelles promesses attend-on de ces ouvrages en matière de rétention et infiltration d’eau ? Si inondation il y a, contre qui va se retourner l'assureur ? Les services de gestion n’ont-ils pas une obligation de moyens dans la prévention des inondations ?...
Il y a clairement des trous dans la raquette en matière de gestion : nous n’avons pas le niveau technique nécessaire pour gérer efficacement ces nouvelles solutions “vertes” ; la réglementation inhérente à l'aménagement évolue mais pas celle de la gestion.
Quelles priorités aujourd’hui pour nous, acteurs du paysage ?
Nous en voyons deux :
1. fabriquer les connaissances
Il nous faut capitaliser sur les premières mises en gestion : commencer par monitorer, observer comment cela marche, mesurer les résultats obtenus au regard de la promesse initiale. En un mot, apprendre ces nouvelles disciplines et nouveaux outils.
2. diffuser ces connaissances très rapidement
Nous sommes en effet dans un contexte d'urgence avec moins de 10 ans devant nous.
Mais attention au biais cognitif associé au “basé sur la nature” !
Pour beaucoup, cela revient à “une solution qui est censée ne rien coûter ni pour la construction ni en gestion”.
Or c’est l’inverse ! Produire de la connaissance est coûteux, cela sous-tend des études, des mesures, de la compilation et analyse de données…
Mais le jeu en vaut la chandelle à nos yeux, car nous serons alors capables de re-fabriquer un cycle de l’eau local :
- qui permettra de valoriser l’eau,
- de limiter les besoins en irrigation,
- d’offrir plus de services aux habitants (biodiversité, qualité de vie, fraîcheur…)
- avec des systèmes plus robustes et pérennes, sujets à moins de pannes.
En effet, nous considérons chez Urbasense que la technologie (le plus possible en low tech) doit rester au service de la connaissance et non du fonctionnement.
Alors en avant pour relever le défi des solutions basées sur la nature !